Vous le savez, la place des femmes en génie me tient à cœur. L’Ordre s’est engagé dans l’initiative 30 en 30 et propose plusieurs actions concrètes pour augmenter le nombre des femmes ingénieures, comme le nouveau projet Du grand génie, celui des ambassadrices et le mentorat. Il est donc important pour moi de célébrer cette Journée internationale des femmes 2021. Je vous propose de découvrir 4 portraits d’ingénieures inspirantes : Sophie Larivière-Mantha, Céline Khuu, Guylaine Dubois et Marion Cossin. Une belle occasion de souligner leurs réussites et leurs contributions visant à changer le monde.

Kathy Baig, ing., MBA, ASC, DHC

 

 

Sophie Larivière-Mantha, Chef de service – technologie et équipements médicaux, au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, membre du CA de l’OIQ

Pourriez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de devenir ingénieure et nous décrire votre parcours?

Ça m’est tombé dessus au fil des expériences et j’ai fini par m’orienter en génie. Tout a commencé au secondaire quand j’ai fait des concours d’expo-sciences, avec un problème résoudre. J’ai choisi celui de mes chats qui me réveillaient chaque matin pour manger. Avec une amie, j’ai programmé un distributeur automatique de nourriture pour animaux (ma mère travaillait pour une compagnie d’automatisation, alors j’ai fait mes débuts en programmation d’automate).

Après l’université en génie de la production automatisée, j’ai terminé par une concentration en technologie de santé et je me suis orienté dans ce domaine. Au final, je n’ai jamais programmé un automate de façon professionnelle, mais j’ai découvert un autre type de génie qui me passionnait encore plus: le génie biomédical. Je ne savais même pas que ça existait ; ce sont des amies à moi qui m’en avaient parlé.

Aujourd’hui, je suis chef de service pour le volet technologies et équipements médicaux pour le projet de modernisation de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, l’un des plus importants projets immobiliers au Québec. C’est un hôpital qui se définit pour les 50 prochaines années. Un hôpital du futur, pensé et conçu pour prendre soins de la population de l’Est-de-l’Ile-de-Montréal. Un défi extraordinaire pour moi, sachant à quelle vitesse les nouvelles technologies évoluent et se développent. Finalement, j’ai choisi le génie biomédical car cela me permet de redonner à la société et surtout au réseau de la santé. J’ai l’impression de contribuer indirectement à la santé de mes co-citoyens.

Quelle est la réussite dont vous êtes particulièrement fière?

Je me souviendrai toujours de cette journée où on a dû fournir des solutions de blindage pour deux salles de radiographie installées sur un joint sismique entre deux bâtiments. Malgré la problématique technique, les architectes avec qui j’ai travaillé ont été très créatifs! On a donc opté pour installer un joint de parement extérieur sur lequel on a pu fixer notre plomb. Ainsi les deux portions de murs pouvaient bouger indépendamment l’un de l’autre et le blindage lui pouvait faire son travail.

L’interdisciplinarité entre les génies et avec tous les autres types de professionnels, c’est ça la beauté de l’ingénierie! On fait des petits miracles et on trouve des solutions à des problèmes inattendus en équipe.

Quels sont les messages que vous souhaitez passer à l’occasion de cette Journée internationale des femmes?

Ma mère a toujours été un modèle pour moi. Étant technicienne en automatisation, elle a vécu beaucoup de situations difficiles en tant que femme dans l’industrie. J’étais donc un peu préparée à ce qui m’attendait. Avec le temps qui passe, je me rends compte que mon approche de travail d’équipe avec mes partenaires m’a toujours amenée à avoir une très bonne collaboration de leur part. Je n’ai jamais senti que j’étais traitée différemment de mes collègues. Depuis que je suis dans le réseau comme ingénieure biomédicale, je me rends compte que ce sont des équipes qui sont beaucoup plus paritaires maintenant.

Je suis engagée en tant que membre du CA de l’Ordre depuis plusieurs années. Trois objectifs me tiennent à cœur : la modernisation de la loi sur les ingénieurs et son application, l’ingénierie et le climat et les femmes en génie. J’adhère complétement à l’objectif que 30 % des nouveaux membres de la profession soient des femmes en 2030, tel que proposé par Ingénieur Canada. Les femmes apportent un autre point de vue sur l’ingénierie. Dotons notre profession de cette diversité dans le but d’améliorer les solutions aux problèmes d’ingénierie.

 

 

Céline Khuu, ingénieure juniore environnement et traitement des eaux

Pourriez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de devenir ingénieure et nous décrire votre parcours?

Je suis issue d’une famille d’ingénieurs : mon père, mon oncle et mes cousins. Pour ma famille, je devais devenir ingénieure à mon tour, la solution pour réussir en tant que femme et immigrée. Au collège, les parents venaient présenter leur métier en classe et un ingénieur des eaux a parlé de son projet au Vietnam. J’ai su que c’était ce que je voulais faire.

J’ai donc choisi ma formation en conséquence : génie des eaux à Polytech Montpellier, en France. Après mes études, j’ai saisi l’opportunité de venir travailler au Québec et je suis ici depuis 4 ans. Même si le métier d’ingénieur est universel, les enjeux environnementaux sont différents. Il faut s’adapter au contexte et aux pratiques usuelles, notamment celles liées à la météo et aux hivers rigoureux du Québec.

Je travaille en génie-conseil : étude de faisabilité, surveillance de chantiers, conception en environnement. Aujourd’hui tout est relié à l’environnement et à l’eau. J’ai toujours aspiré à faire de l’humanitaire. Aujourd’hui, je sais que ce n’est pas la seule voie. Quand je suis sur le terrain ou que je regarde certains reportages, je sais que chacun peut mettre sa pierre à l’édifice. Je me rappelle pourquoi je fais ce métier et à quoi il sert.

Quelle est la réussite dont vous êtes particulièrement fière?

Mon projet de recherche portait sur le fractionnement de la matière organique : connaitre le type de matière pour mieux la filtrer. J’ai obtenu le 2e prix de mon école sur ce projet de fin d’études. J’ai choisi de présenter mon poster avec une touche d’humour, sous forme d’enquête: qui est le responsable du colmatage des membranes ? La vulgarisation est primordiale. Oui, ce sont des sciences, mais on peut les présenter de façon communicante, originale et ludique.

Quels sont les messages que vous souhaitez passer à l’occasion de cette Journée internationale des femmes?

Je dirais sans hésiter : avoir confiance en soi. Je n’ai pas obtenu beaucoup d’encouragements au cours de ma formation. Plusieurs professeurs m’ont suggéré d’autres voies que les sciences. Les études d’ingénieur sont de haut niveau. Il faut bien s’entourer. Je recommande aux jeunes femmes de s’informer, de participer à des conférences et de rencontrer des ingénieurs pour s’inspirer.

Même si le domaine de l’environnement comprend beaucoup de femmes, les femmes ingénieures restent minoritaires. Lorsque j’arrive sur un nouveau chantier, les premières réactions sont souvent étonnement, voire scepticisme. Mais rapidement, on apprécie mes compétences, on respecte mon travail et on m’encourage avec bienveillance.

J’espère que le développement de la présence des femmes en génie va se poursuivre. Elles apportent une vue générale, sont habituées à faire plusieurs choses à la fois et agissent avec une empathie souvent très développée. Et les postes à responsabilités sont accessibles.

 

 

Guylaine Dubois, ing., CSO, Vice-présidente construction – Grand Nord & Mines chez EBC

Pourriez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de devenir ingénieure et nous décrire votre parcours?

J’ai été dans un corps de cadets de 12 à 18 ans. Lors de ces années, j’ai confirmé que j’étais une fille d’équipe, de défi et j’ai découvert mes capacités à partir sur des camps d’été, des camps dans les bois, à l’aise dans un environnement très majoritairement masculin.

Lors de mes études, j’avais beaucoup d’intérêts. C’est une amie qui avait fait des cadets comme moi et qui étudiait en génie qui m’a dit qu’elle me verrait bien ingénieure; en plus d’avoir les capacités académiques requises, il y a beaucoup de gars en génie et tu sais prendre ta place parmi eux…Par élimination, j’ai choisi le génie civil puisque nous sommes entourés de routes, de structures et de ponts et donc le génie civil m’apparaissait très diversifié et concret.

Arrivée chez EBC en 1992 après les études, je peux dire que mes débuts professionnels ont mis à l’épreuve ma détermination et mon humilité. Je n’ai pas de décroché de poste d’ingénieur au début. Mais comme je voulais faire de gros chantiers, j’ai accepté le poste proposé pour montrer mes capacités. Cet emploi sur un chantier de la Baie-James fut un tremplin qui a marqué le début de ma carrière. J’ai alors eu la piqûre des chantiers et donc j’ai continué à travailler sur différents chantiers et ce, malgré de nombreuses difficultés rencontrées surtout dans les premières années.

Sur un chantier, le surintendant est l’homme d’expérience et le meneur d’équipe. Et lorsqu’il te voit arriver, jeune femme, il faut savoir faire sa place. Mon truc pour réussir à être considérée et me bâtir une crédibilité a été de valoriser leurs compétences pour me rapprocher et pouvoir bénéficier de leur expérience. Questionner adroitement permet d’aborder des situations problématiques sans leur faire sentir que leur façon de faire est ou pourrait être remise en cause. Certains avaient des difficultés à admettre qu’une jeune femme ingénieure pouvait constater que quelque chose ne fonctionnait pas. J’évitais alors et surtout la confrontation, mais misait sur la discussion pour susciter des réflexions. Pour me faire accepter, j’ai dû répondre aux attentes rapidement et travailler très fort. J’ai mis toutes les chances de mon côté en acceptant de travailler sur des chantiers variés souvent en régions éloignées pour prendre de l’expérience et pouvoir ensuite saisir les opportunités. Je me rappelle un projet en 1996 que j’ai pratiquement réalisé en solo au niveau de la gestion. Pendant 3 à 4 mois, je suis allé au-delà de mon rôle d’ingénieure de chantier pour connaitre toutes les facettes de la construction : échéancier, coût, gestion du personnel et relation avec les travailleurs et le client. Une expérience très formatrice.

Quelle est la réussite dont vous êtes particulièrement fière?

Sans aucun doute mon premier projet en tant que gérante de projets, en 2001. Ce projet de plus de 80 millions consistait à construire un tunnel de 13.5 km pour le client Hydro-Québec sur la côte Nord, pour l’aménagement de la rivière Toulnustouc. Après avoir acquis des compétences techniques entre 1992 et 2000, j’ai pu alors, en tête de ce projet directement au site, développer mes habilités en gestion d’équipe. Je me rappelle avoir vécu toute sorte de situation exigeant des discussions courageuses. Par exemple, quand ton surintendant souhaite une personne dans l’équipe, mais pas toi. Quand il faut mettre un employé à pied mais que celui-ci a des relations de parenté avec un employé-clé de ton équipe. La solution : se baser toujours sur les faits, faire preuve de jugement et laisser les émotions de côté pour le bien du projet.

Quels sont les messages que vous souhaitez passer à l’occasion de cette Journée internationale des femmes?

La construction, c’est un monde d’hommes. Mais on peut garder notre personnalité féminine. Il ne faut pas se dénaturer, même en minorité. Les solutions : miser sur nos capacités d’écoute, rester intègre et ne pas s’en laisser imposer. En tant que femme, il faut être prête à entendre les discours et remarques d’hommes et ne pas se laisser déstabiliser par des propos parfois crus ou déplacés. Les hommes sont ce qu’ils sont et ne font pas la distinction homme femme sur un chantier. Il faut se mettre au même diapason, sans pour autant se diminuer, rester sur les faits en contrôle de nos émotions.

Faire des chantiers à l’extérieur et travailler de longues heures de travail représente des sacrifices au niveau familial. Cela ne m’a pas empêché d’adopter une petite fille, Alyna, après un processus très long et difficile. Preuve encore qu’il ne faut pas lâcher. Avoir une vie professionnelle et familiale est possible : ça prend un conjoint qui te soutient. Et il faut se donner des moyens pour nous aider et lâcher prise sur certains aspects dont accepter ne pas être parfaite en tout point.

Aujourd’hui, je suis vice-présidente construction, toujours pour EBC et donc avec moins de déplacements. Les efforts et sacrifices faits par le passé ont valu la peine. Je trouve le succès dans tous mes projets professionnels : si ce n’est pas sur le plan financier, cela peut être sur le développement de mon personnel, ou d’une nouvelle expertise. Ma philosophie est de rester positive en tout temps. Cette façon d’aborder les défis professionnels ainsi que celui d’être mère font que chaque jour qui passe est un autre succès.

 

Marion Cossin, ingénieure recherche en arts du cirque et étudiante au doctorat, Centre de recherche d’innovation et de transfert en arts du cirque (CRITAC), ambassadrice pour l’OIQ

Pourriez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de devenir ingénieure et nous décrire votre parcours?

J’ai démarré mes études en France. Étant bonne en mathématiques et en sciences, on me disait de choisir médecine ou génie. J’ai choisi génie pour comprendre les choses et mettre en applications mes connaissances. Je voulais du concret. Lors de ma formation à l’école nationale des Mines de Douai, j’ai fait mon 1er stage au Canada dans le milieu industriel et réalisé que ce n’était pas pour moi. Mon stage à l’Opéra de Lyon a été une révélation. J’ai révisé mes plans en ciblant le milieu des arts et de la scène et poursuivi mes études en génie mécanique à Polytechnique Montréal.

Aujourd’hui, je suis ingénieure de recherche pour le CRITAC, tout en poursuivant mes études de doctorat en génie médical. Je travaille sur l’analyse structurelle des décors pour les compagnies de théâtre, de cirque ou les festivals. J’accompagne les artistes dans la conception de nouveaux équipements de cirque ou la recherche de solutions techniques pour produire leurs spectacles. Enfin, j’analyse aussi la sécurité suite à des blessures d’artistes (équipements et matériaux).

Quelle est la réussite dont vous êtes particulièrement fière?

Tous les projets sont des fiertés, mais 2 projets me viennent à l’esprit. Le premier concerne la sécurité des artistes. Les gréeurs acrobatiques s’occupent des accrochages des spectacles, comme les tissus ou les trapèzes. Ils rencontrent des difficultés à choisir les équipements adaptés aux charges dynamiques des artistes et aucune norme n’existe. Mon projet de maitrise a été de mesurer plus de 300 mouvements dans 5 disciplines. Ensuite, j’ai communiqué les résultats dans le domaine : papiers de vulgarisation, conférences. Ce projet a obtenu beaucoup de résonnance et j’ai reçu des centaines de courriels de remerciements. Aujourd’hui encore, je reçois des messages qui me font prendre conscience de la réussite de ce projet.

Le second est plus récent, avec la mise au point d’une planche coréenne (planche de cirque en bois posée sur un axe, animée par deux acrobates) dans un nouveau matériau. Le composite a de nombreux avantages : durée dans le temps, performance, régularité. Je ne suis servie des données du doctorat pour construire un prototype. Et je l’ai fait tester à des acrobates. Leur réaction a été tellement positive! Ils parlaient de planche 2.0 et voulaient même la nommer par mon prénom. Je ne pensais pas avoir un impact si fort.

Quels sont les messages que vous souhaitez passer à l’occasion de cette Journée internationale des femmes?

Il y a 10 ans, un étudiant m’a dit que les femmes n’avaient pas leur place en génie. Cela m’a choquée, mais surtout motivée à obtenir de meilleures notes que lui et réussir pour lui prouver le contraire. À part ce cas, je n’ai jamais eu d’enjeu dans mes études ni dans mon travail. Je suis confortable dans mon milieu.

Il est vraiment très important de promouvoir les femmes et la diversité en génie et en sciences. Cela offre plus de perspective, de créativité, de leadership et d’ouverture à la discussion. En tant qu’ambassadrice pour l’Ordre des ingénieurs du Québec dans les écoles, je sais que les jeunes ont besoin de modèles pour s’identifier. Toutes ces initiatives permettent de montrer la variété du génie et d’avoir un impact.

Kathy Baig

Kathy Baig

Je me nomme Kathy Baig, je suis ingénieure et présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis le 22 juin 2016. J’anime ce blogue dans le but d’échanger avec les membres, les parties prenantes et le public sur différents sujets et enjeux touchant à notre profession. Ce blogue permettra aussi de partager et commenter les différentes actions contenues dans le plan stratégique de l’Ordre, ING 20-25, pour assurer la protection du public et soutenir le développement de la profession.

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