À l’occasion de la Journée internationale des femmes 2022, je vous invite à lire les entrevues d’ingénieures passionnées : Eve Langelier, membre du groupe de travail de l’Ordre sur les femmes en génie, Marjolaine De Andrade, ambassadrice et Josiane Dallaire, mentore du programme de mentorat de l’Ordre. Elles ont accepté de répondre à mes questions sur leurs visions de la place des femmes en génie, leurs expériences et leurs conseils aux jeunes femmes qui souhaitent devenir ingénieures. Une belle occasion de souligner leurs contributions visant à changer le monde.
Kathy Baig, ing., MBA, ASC, DHC
Eve Langelier, ing., professeure à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche sur les femmes en sciences et en génie
Pouvez-vous vous présenter ?
Mon nom est Eve Langelier. Je suis ingénieure et professeure en génie mécanique à l’Université de Sherbrooke. Depuis 2015, je suis également titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec. Avec mon équipe, nous nous impliquons activement dans le recrutement, la rétention et le développement professionnel des femmes en sciences et en génie. Je souhaite, entre autres, démystifier les sciences et le génie, améliorer l’enseignement de la technologie au primaire et au secondaire, offrir des modèles de femmes et outiller les filles et femmes ayant pris ce chemin pour qu’elles y restent, y progressent et y soient heureuses, tout en sensibilisant le milieu à cette problématique.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes intéressées par le génie ?
- Explorer et expérimenter : Le génie offre une grande variété de carrières tant au niveau des disciplines (mécanique, électrique, biomédical, alimentaire, etc.) qu’au niveau des types de tâches (conception, gestion, assurance qualité, entrepreneuriat, etc.). Il permet aussi d’accéder à différents environnements de travail (public, privé, start-up, PME, etc.). Explorer les occasions et expérimenter différentes options pour trouver ce qui vous convient le mieux et ce qui vous motive au quotidien!
- Être mentorée, puis devenir mentore à son tour (et pourquoi pas les deux en même temps !) : Il est reconnu que les femmes dans les milieux traditionnellement masculins ont moins accès à des modèles féminins ainsi qu’à du mentorat. Pourtant, les deux sont bénéfiques. Les modèles féminins aident à briser les stéréotypes et permettent aux femmes de se projeter. De son côté, le mentorat peut favoriser l’intégration au sein d’une organisation, augmenter la confiance en soi, offrir du soutien, faciliter les réflexions et bien plus.
- Reconnaître que sa place est légitime et que ses perspectives sont importantes : Lorsqu’on est en minorité, on peut se questionner sur sa place. Aussi, lorsqu’une masse critique n’est pas atteinte au sein d’un groupe, les personnes en minorité risquent davantage de devoir s’adapter aux normes du groupe. Ainsi, leurs préoccupations et perspectives peuvent ne pas être prises en compte et les bénéfices associés à leur présence peuvent s’évaporer. Sachez que plusieurs femmes ont de belles carrières en génie et qu’elles contribuent à bâtir la société de demain. Le génie québécois a besoin de vos préoccupations et de vos perspectives !
- Avoir du plaisir ! : Le génie est un domaine fantastique qui offrent plusieurs façons de se réaliser et de contribuer. Probablement à cause de notre socialisation, plusieurs femmes manquent de confiance ou ont le syndrome d’imposture. En examinant mon parcours, je réalise que j’ai souvent stressé inutilement. J’aurais pu davantage profiter du plaisir à réaliser mon travail…
Selon vous, quelles actions ou bonnes pratiques peuvent être mises en place pour une meilleure intégration des femmes au travail ?
Il faut y aller par étapes et par priorité, selon le contexte particulier du milieu :
- Faire une analyse de la situation dans son milieu (défis, parties prenantes, ressources)
- Se doter de quelques objectifs, pour une approche SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporellement défini), reliés aux enjeux repérés
- Se doter d’un plan d’action réaliste relié aux objectifs établis
- Réfléchir aux indicateurs pour évaluer le progrès réalisé
Voici des exemples :
- Mettre de l’avant les avantages de la diversité/mixité ou offrir des formations à propos de l’ÉDI
- Adopter une politique de tolérance zéro envers des actes comme la violence et le harcèlement (et communiquer cette politique)
- Utiliser un langage inclusif à l’oral et à l’écrit (vocabulaires et images)
- Adopter un mode de réunion inclusif
- Offrir un programme de mentorat à tous les niveaux professionnels
- Favoriser l’articulation travail-famille
- Se sensibiliser au sujet de l’équité, la diversité et l’inclusion (ÉDI) (ou de la sous-représentation des femmes) et ses défis et conscientiser les membres de son équipe
- Prendre conscience de ses biais inconscients et de ses préjugés concernant les groupes représentés dans une équipe diversifiée/mixte
- Apprécier ce que chaque personne apporte à l’équipe
- Exposer à des modèles
- Développer un sentiment d’appartenance
- Éviter la taxe d’équité (Les personnes en minorités sont souvent celles qui siègent à tous les comités et qui sont impliquées dans la sensibilisation/formation de leur entourage à l’EDI. Ceci est « taxant » pour elles, car souvent, elles le font en plus de leurs tâches et ce n’est pas reconnu lors des promotions par exemple.)
- Consulter les gens à propos de leur expérience, bien-être, besoins en lien avec le travail.
- Être à l’écoute et observer
- Solliciter la participation de son équipe dans le processus de résolution de problèmes pour favoriser l’implantation de stratégies (pour avoir l’adhésion de l’équipe)
- Adopter des pratiques de gestion qui tiennent compte des défis de la diversité/mixité
Marjolaine De Andrade, candidate à la profession
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Marjolaine De Andrade, j’ai 26 ans et suis candidate à la profession d’ingénieur. J’ai commencé mon baccalauréat en génie mécanique à Polytechnique Montréal puis je me suis finalement réorientée en génie civil et ai obtenu mon diplôme en décembre 2019. Ma carrière a débuté avec des projets en surveillance de chantier en ponts et ouvrages d’art, puis j’ai décroché l’emploi de mes rêves en mobilité, chez CIMA+. Je participe à des projets d’études de circulation ainsi qu’à des projets de conception en signalisation.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes intéressées par le génie ?
Je recommande aux filles de ne pas avoir peur, face aux garçons, de prendre la place qui leur est due. Le parcours peut paraître intimidant et difficile. Néanmoins, des personnes seront là pour aider et il est normal de demander de l’aide ou de changer d’avis en chemin, les domaines d’ingénierie sont nombreux, il faut les découvrir pour savoir lequel on aime vraiment. Le but est d’aller au bout de ses rêves, peu importe le temps que cela prendra.
Selon vous, quelles actions ou bonnes pratiques peuvent être mises en place pour une meilleure intégration des femmes au travail ?
Parmi les avantages sociaux qu’offrent les entreprises, bonifier les accès à la garderie pourrait être une piste intéressante pour faciliter la conciliation travail-famille. En effet, certaines offrent une panoplie de mesures comme des rabais pour le ski, les assurances auto ou les abonnements pour la gym, pourquoi ne pas développer des partenariats avec les garderies proches du lieu de travail et ainsi aider leur personnel à diminuer leur temps de transport ?
Aussi, les employeurs devraient s’assurer que les équipements et installations soient adaptés aux femmes. Par exemple, les toilettes pour femme sur un chantier de construction ne devraient pas être optionnelles ou mettre à disposition des manteaux aux bonnes tailles.
Josiane Dallaire, ingénieure de procédé spécialisée en traitement des effluents industriels
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Josiane Dallaire et suis ingénieure de procédés spécialisée en traitement des effluents industriels au sein de Veolia Water Technologies depuis plus de 10 ans. Je détiens également un diplôme de second cycle en gestion de l’environnement. Soucieuse du respect de l’environnement, je tente de mettre à profit mes compétences et mon expérience dans le traitement de l’eau en concevant des chaînes de traitement complexes pour les effluents industriels ou pour les eaux provenant de sites contaminés dans le but d’atteindre des objectifs environnementaux toujours plus exigeants. Ceci me permet de jumeler mes passions pour l’environnement, la chimie de l’eau et les procédés.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes intéressées par le génie ?
Je leur conseille de foncer, de ne pas se laisser impressionner par les études, de ne pas hésiter à travailler et étudier en équipe, poser des questions aux professeurs, affronter leur gêne. Aussi, je leur conseille de cultiver leur savoir-être. L’attitude est très importante au sein d’une équipe, d’une entreprise. En effet, s’intéresser à l’intelligence émotionnelle, la souplesse cognitive, connaître ses propres valeurs et soigner son attitude dans le monde du travail est, selon moi, la clé de son épanouissement professionnel. Finalement, je dirais aux filles de rester authentiques.
Selon vous, quelles actions ou bonnes pratiques peuvent être mises en place pour une meilleure intégration des femmes au travail ?
Selon moi, les entreprises gagneraient à promouvoir la diversité et l’égalité au sein de leurs équipes en mettant en place des campagnes de sensibilisation sur les bienfaits de la diversité ou encore des formations sur le sexisme/les privilèges et l’ouverture sur l’autre qui mène au respect au travail. Organiser des activités qui plaisent à un grand nombre de personnes, peu importe leur genre ou leur personnalité, est aussi une excellente pratique. Quand j’ai commencé ma carrière chez Veolia, nous avions une équipe de bateau-dragon. Cette dernière était constituée autant de femmes que d’hommes, un bateau mixte doit avoir au moins 10 femmes sur 20 pagayeurs. Il y avait, au sein de l’équipe, une belle diversité d’employés, autant des directeurs que des techniciens, des gens de plusieurs départements qui ne travaillent pas ensemble quotidiennement. Faire une activité avec les décideurs permet de tisser des liens et augmente les chances de se démarquer et d’évoluer au sein d’une entreprise. Mon expérience de bateau-dragon m’a permis de me faire connaître, malgré mon caractère ambiverti. Ceci a grandement facilité mon intégration au sein de l’entreprise. L’humain dans sa nature tend à vouloir travailler avec ceux qui lui ressemblent. Pour briser ceci, je crois que nous gagnons à créer des moments de rencontres informelles qui permettent d’établir une relation qui dépasse le contexte de travail pour connaître et s’intéresser à l’autre. Ceci risque d’être de plus en plus difficile dans un contexte où il y a de plus en plus de réunions virtuelles et de moins en moins de rencontres en chair et en os.
En 2022, force est d’admettre que la charge mentale concernant l’organisation de la maisonnée, surtout chez les familles, repose sur les épaules de la femme. Je crois que les entreprises devraient être plus flexibles afin d’accommoder les parents dans la conciliation travail-famille. Offrir des conditions gagnantes pour permettre un équilibre de vie et, aussi, d’accepter et de promouvoir le départ des pères en congé parental. Favoriser un partage équitable des responsabilités familiales permettrait aux femmes qui ont à cœur leur métier de se décharger un peu de cette charge mentale.
En somme, les trois champs d’action devraient être : sensibiliser les employés et directeurs sur les bienfaits de la diversité, favoriser les rencontres informelles entre employés de tous niveaux hiérarchiques et promouvoir la flexibilité des conditions de travail. Plus de diversité dans notre profession nous permet de sortir des sentiers battus, d’augmenter notre créativité, notre pensée critique collective et d’innover.
Vous participez au programme de mentorat de l’Ordre, qu’est-ce que cela vous apporte ? Avez-vous des retours des jeunes femmes mentorées ?
Être mentore au programme de mentorat de l’Ordre me permet de mieux connaître la future génération, ça m’ouvre sur leur réalité. Quant à moi, c’est aussi ça la diversité, s’ouvrir sur les autres générations, éviter les aprioris sur leurs comportements, leurs choix et leurs valeurs. J’ai le sentiment également de pouvoir être présente pour ces jeunes femmes qui doivent étudier dans un contexte hors du commun, d’écouter ce qu’elles ont à dire et de discuter de leurs préoccupations concernant le domaine de l’ingénierie. Je veux les encourager à continuer, malgré les difficultés encourues, car je reste profondément convaincue qu’une carrière dans le domaine du génie ouvre plusieurs portes et permet de s’épanouir dans son métier. J’ai donc le sentiment de faire une petite différence pour soutenir ces jeunes femmes dans leur rêve et ainsi permettre de tendre vers une certaine parité dans mon domaine qui, selon moi, pourrait faire une grande différence.
L’Ordre des ingénieurs du Québec veille donc à promouvoir la diversité et l’inclusion au sein de la profession pour que l’ensemble des ingénieurs et ingénieures puissent se réaliser à leur plein potentiel. Découvrez les initiatives