Il ne se passe pas une journée sans qu’on entende parler des progrès de l’intelligence artificielle, communément appelée IA. Si l’on se fie aux propos du chercheur de renommée internationale Yoshua Bengio, cette technologie qui bouleversera notre quotidien est porteuse de grands bénéfices. D’autres personnalités comme Elon Musk ou le défunt astrophysicien Stephen Hawking y voient plutôt d’énormes risques pour l’humanité. Qui croire?

Participation à une journée de coconstruction

L’Ordre des ingénieurs du Québec a amorcé une réflexion sur les enjeux qu’elle suscite pour la profession et ses répercussions pour la protection du public. Nous avons participé cet hiver à l’une des journées de coconstruction organisées par l’Université de Montréal dans le cadre de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle en compagnie d’autres parties prenantes. Il y était question de scénarios prospectifs se déroulant en 2025 et où nous étions invités à réfléchir à des solutions. Le grand éventail de thèmes abordait des questions éthiques comme la question des jumeaux numériques dans le diagnostic de maladies, l’influence des suggestions du frigo intelligent, la libération conditionnelle et le recrutement par un algorithme.

Rédaction d’un avis incluant nos recommandations

Nous avons aussi rédigé un avis qui contient nos recommandations en collaboration avec 23 ingénieurs de diverses disciplines et des représentants de l’écosystème de l’IA. Nous l’avons déposé aux coordonnateurs de la Déclaration de Montréal le 5 juin dernier.

D’ailleurs, cet exercice nous a valu des éloges et j’en suis très satisfaite. Avec cette initiative, Montréal se positionne déjà comme un leader en matière d’éthique pour garantir une IA responsable. Cela rejoint notre objectif de devenir LA référence en matière de protection du public d’où notre intérêt à participer à ce projet.

Les recommandations sur l’IA ayant une portée au sein de notre profession

Grosso modo, l’Ordre prône l’usage de l’intelligence artificielle pour le bien-être de la société et encourage la collaboration de tous les acteurs concernés. Il est clair que l’IA ne peut remplacer un ingénieur, mais nous y voyons un outil d’assistance ou d’aide à la prise de décision.

Comment en sommes-nous arrivés à circonscrire 17 recommandations de nature technique, éthique ou juridique, dont 8 ayant une portée au sein de la profession?

Notre réflexion s’appuie sur les bonnes pratiques mises en œuvre à la fois au Québec, au Canada, en Europe et aux États-Unis. Nous avons retenu celles où le rôle de l’Ordre semble le plus pertinent, compte tenu de sa mission de protection du public et des orientations du Code de déontologie des ingénieurs.

Les 8 recommandations de l’Ordre ayant une portée au sein de la profession :

  1. préserver l’imputabilité du professionnel dans l’exercice de sa profession;
  2. encourager les ingénieurs à partager les résultats de leurs travaux sur l’IA avec leurs pairs « Peer Review » (évaluation par les pairs);
  3. accroître la transparence : rendre publics et ouverts les codes informatiques pour l’interprétation des résultats et les méthodes d’entraînement des algorithmes;
  4. analyser les risques et établir les limites des champs d’utilisation de l’IA en ingénierie en lien avec la protection du public;
  5. intégrer la formation en éthique liée aux technologies et aux enjeux de l’IA dans le cursus des ingénieurs et dans la formation continue;
  6. favoriser l’interdisciplinarité (psychologues, sociologues, philosophes, juristes) dans les équipes de conception et de développement des systèmes d’IA pour aider l’ingénieur à prendre des décisions éthiques;
  7. participer à la modernisation de la Loi sur les ingénieurs et inciter le législateur à prévoir des mécanismes règlementaires souples;
  8. confier à des équipes multidisciplinaires de professionnels imputables la validation d’algorithmes dont l’opération est susceptible de conduire à un danger (ex. : voiture autonome, avion autonome, équipements industriels) et la protection des données.

Des 8 recommandations énumérées ci-dessus, laquelle est la plus importante selon vous?

Sans vouloir vous influencer, je sens de plus en plus l’urgence de moderniser la Loi sur les ingénieurs et ainsi contribuer à éviter les dérives dans l’utilisation de l’IA. Cela est d’autant plus pressant que le risque zéro associé à toute nouvelle technologie n’existe pas. Dans un prochain billet de blogue, je parlerai des recommandations d’ordre général que nous avons identifiées.

L’IA, ce n’est pas que des robots

Un robot, c’est l’image qui nous vient spontanément à l’esprit lorsqu’on parle d’intelligence artificielle. Pourtant, l’IA ce n’est pas que des robots. Tous les domaines du génie sont ou seront touchés par cette innovation comme le démontre cette brève liste, bien que non exhaustive :

  • automatisation: méthodes et processus de production;
  • génie chimique : découverte de nouvelles molécules pour les médicaments;
  • génie civil: santé et sécurité, monitoring et entretien d’un ouvrage de génie;
  • génie aéronautique: assistance au contrôle qualité pendant la production;
  • génie électrique: Internet des objets;
  • génie informatique/logiciel: voiture autonome;
  • génie mécanique: recommandations en conception;
  • robotique, industriel, manufacturier: système de vision, domaine culinaire.

L’émergence de cette nouvelle technologie présente des défis importants pour la profession d’ingénieur. Les développements récents de l’IA rendent pertinentes la réflexion et la mise en place d’actions pour garantir une IA responsable. Il est intéressant de constater que nos membres se sentent concernés à la fois comme ingénieurs et comme citoyens.

Système professionnel et IA

Même si, à ma connaissance, nous sommes le premier ordre professionnel à avoir officiellement soumis nos recommandations à la Déclaration de Montréal, d’autres ordres professionnels s’intéressent à l’IA.

Le Barreau

J’ai interrogé Me Paul-Matthieu Grondin, le bâtonnier du Québec, pour savoir quelles étaient les intentions du Barreau à ce sujet et voici sa position:

«Le Barreau croit qu’il est de son rôle de prévoir un cadre déontologique pour l’intelligence artificielle avant son arrivée, parce que pour l’instant, personne ne nous a présenté un projet qui impliquerait une telle intelligence au Québec. Nous avons donc créé un groupe de travail qui inclut notre syndic, et nous devrions dévoiler les résultats de ce groupe à l’hiver. Nous sommes bien sûr en train de voir ce qui se fait ailleurs. Nous ne voulons pas être un frein à de nouvelles technologies développées de façon responsable et qui ne seraient pas que disponibles pour les plus riches d’entre nous.»

Genium360

Si de plus en plus de gens s’y intéressent, c’est qu’on estime à 1,4 million le nombre de travailleurs québécois qui seront touchés au Québec par l’automatisation et la robotisation (source: Institut du Québec, Automatisation, nouveaux modèles d’affaires et emploi, janvier 2018). Bien que de nouveaux emplois soient créés, d’autres travailleurs verront leur emploi transformé et devront s’adapter rapidement aux nouvelles réalités du marché du travail.

Genium360 a d’ailleurs écrit récemment un billet de blogue intitulé «Comment expliquer l’intelligence artificielle à sa grand-mère?» pour vulgariser l’information liée à l’intelligence artificielle.

Revue PLAN: Vous voulez en savoir davantage?

Relisez le dossier complet publié dans la revue PLAN de l’Ordre des ingénieurs du Québec consacrée à l’intelligence artificielle paru en mars-avril 2018.

Lire le dossier spécial

Prochaines étapes

Nous allons laisser aux coordonnateurs de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’IA le soin de retenir les recommandations qui seront enchâssées dans ce document de prise de position. Cependant, nous serons présents au NIPS 2018 le 8 décembre prochain lors du dévoilement du rapport final des consultations citoyennes. Nous espérons que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, portera une oreille attentive à la Déclaration de Montréal sur l’IA et qu’il y apposera sa signature.

De notre côté, nous projetons de mettre sur pied un groupe de travail avec des experts dans ce domaine. Si vous avez donné votre nom pour faire partie d’un groupe de travail de l’Ordre sur l’IA, vous aurez de nos nouvelles à la rentrée, car nous voulons accroître notre présence sur la place publique à ce sujet. Préparez-vous à entendre souvent parler de nous!

En terminant, j’invite les autres ordres professionnels à se pencher sur le phénomène de l’intelligence artificielle et à prendre position. L’IA est déjà au cœur de nos vies et tous les acteurs du système professionnel qui œuvrent au quotidien pour assurer la protection du public doivent faire partie de la réflexion. L’IA aura un impact au quotidien sur les champs d’expertise des professionnels qui auront, de même que les ordres qui les encadrent et les soutiennent, à adapter leurs façons pour faire face à ces nouveaux concepts et à ces nouvelles technologies. Nous devons nous mobiliser pour que l’IA soit au service de la société.

Kathy Baig

Kathy Baig

Je me nomme Kathy Baig, je suis ingénieure et présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec depuis le 22 juin 2016. J’anime ce blogue dans le but d’échanger avec les membres, les parties prenantes et le public sur différents sujets et enjeux touchant à notre profession. Ce blogue permettra aussi de partager et commenter les différentes actions contenues dans le plan stratégique de l’Ordre, ING 20-25, pour assurer la protection du public et soutenir le développement de la profession.

3 Commentaires

Répondre